Délit douanier et restitution des sommes saisies
Les faits sont les suivants.
A l’automne 2016, Z.H., ressortissant syrien installé en Italie est interpellé au péage de Valence avec, dans le coffre de son véhicule, deux valises pleines de billets pour un montant total d’un peu de plus 950.000 euros.
L’argent est saisi.
Les analyses établiront, sur les échantillons prélevés, des traces résiduelles de produits stupéfiants.
Deux jours plus tard, Z.H. est mis en examen du chef de blanchiment en bande organisée et du délit douanier de manquement aux obligations déclaratives avant d’être incarcéré à la maison d’arrêt de Valence.
Il y restera deux mois, avant que la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Grenoble n’ordonne sa remise en liberté sous contrôle judiciaire.
Cinq ans plus tard, le 18 mars 2021, le tribunal correctionnel de Valence a ordonné la restitution de l’intégralité de la somme saisie, condamnant Z.H. au seul règlement d’une amende douanière correspondant à 25% du montant total de ces fonds.
Que s’est-il passé entre ces deux dates ?
Un long combat judiciaire pour faire reconnaître l’origine légale des fonds.
Entrepreneur syrien avant la guerre civile, Z.H. avait été contraint de fuir pour s’installer en Italie avec sa famille.
Il avait alors entrepris de vendre, à l’été 2016, plusieurs des biens immobiliers qu’il possédait en Syrie.
Nous sommes parvenus à obtenir les différents actes notariés et après les avoir fait traduire par un expert judiciaire, nous les avons communiqués au juge d’instruction.
Nous avons ensuite retracé le circuit de l’argent, depuis le paiement des acquisitions au moyen de livres syriennes – seule monnaie ayant cours en Syrie depuis un décret du 5 août 2013 – jusqu’aux opérations de changes.
Un vrai travail d’investigations qui nous a permis à l’automne 2018 de solliciter du juge d’instruction qu’elle abandonne la mise en examen de blanchiment en bande organisée… Sans réponse de sa part, nous avons saisi la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Grenoble qui nous a donné raison et a annulé la mise en examen de ce chef.
Pour une raison très simple : le blanchiment (en bande organisée ou pas) est une infraction dite de conséquence qui suppose la préexistence d’un délit d’origine. Et la jurisprudence de la Cour de cassation est constante sur ce point : « ce délit [de blanchiment] nécessite que soient relevés précisément les éléments constitutifs d’un crime ou d’un délit ayant procuré à son auteur un profit direct ou indirect » (Crim. 25 juin 2003, n°02-86.182 mais également pour le blanchiment douanier : Crim. 25 février 2015, n°13-84.315).
Peu importe que cette infraction originelle soit ou pas poursuivie. Encore faut-il toutefois que son existence ne soit pas sérieusement contestable et qu’on sache, précisément, de quel crime ou délit proviennent les fonds litigieux !
En l’espèce, le seul « indice » permettant de soupçonner l’origine frauduleuse des billets était les traces de produits stupéfiants mises en évidence sur plusieurs d’entre eux, saisis comme échantillons d’analyse.
Le raisonnement de l’accusation était simple : ces traces suspectes signaient l’origine frauduleuse de l’ensemble des billets issus d’un trafic de stupéfiants.
La Cour d’appel de Grenoble en a jugé différemment et a estimé que la présence de ces traces n’était pas suffisante pour caractériser leur origine frauduleuse.
Rien de surprenant à cela quand on sait à quel point les billets que nous manipulons tous les jours, dans notre vie quotidienne, sont imprégnés de substances illicites à force de changer de mains. Plusieurs études scientifiques l’ont amplement démontré.
Dès lors, il ne restait plus que le délit douanier de manquement aux obligations déclaratives.
Cette infraction n’avait jamais été contestée puisque les fonds avaient été récupérés en Espagne et qu’effectivement, Z.H. ne s’était pas arrêté au premier poste frontière pour déclarer spontanément aux douaniers d’astreinte cette nuit-là, qu’il était en possession de deux grosses valises…
J’imagine d’ailleurs aisément leur mine !
Ce délit étant reconnu, nous avions proposé au juge d’instruction d’orienter ce dossier en C.R.P.C. Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité, ce qui aurait évité de longs débats et permis un règlement « négocié » de cette procédure.
C’est le procureur de la République de Valence qui, cette fois, s’y est opposé, préférant qu’un tribunal soit saisi de la question de la confiscation de l’intégralité de la somme saisie.
Cette question mérite à elle seule qu’on s’y attarde dans un prochain billet…
Il suffit d’indiquer ici que le tribunal a refusé de confisquer l’intégralité de la somme saisie, en a ordonné la restitution à son légitime propriétaire, déduction faite, tout de même, du montant de l’amende douanière encourue.
Cette décision est aujourd’hui définitive.