Le pilote de ligne et la faute délibérée

Les faits sont les suivants.

Le 29 mars 2013, en début de soirée, un Airbus A321 de la compagnie Hermès Airlines, avec à son bord 174 passagers et 7 membres d’équipage et assurant la liaison depuis Dakar (Sénégal) sortait de piste lors de son atterrissage à l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry et s’immobilisait sur un terre-plein herbeux, trois cents mètres plus loin.

Une enquête de flagrance était ouverte.

Si aucune victime n’était à déplorer, une passagère se manifestait un mois plus tard et déposait plainte après s’être vu prescrire quatre jours d’incapacité totale de travail au regard du choc psychologique subi.

Deux ans plus tard, le 2 juin 2015, les investigations se poursuivaient sous l’autorité d’un juge d’instruction.

S’il avait été interrogé par les enquêteurs dès le lendemain de l’accident, il fallait attendre le 29 juillet 2017 pour que le pilote, Theodoros K. commandant de bord expérimenté, titulaire de sa licence depuis 1990, soit mis en examen pour le délit de mise en danger de la vie d’autrui prévu par l’articles 223-1 du code pénal et celui de blessures involontaires aggravées n’ayant pas entrainé une I.T.T. supérieure à trois mois, prévu par l’article 222-20 du code pénal.

Renvoyé de ces deux infractions devant le tribunal correctionnel de Lyon le 14 décembre 2018, nous obtenions sa relaxe par un jugement du 20 octobre 2020.

Par arrêt du 18 mai 2022, statuant sur l’appel du Ministère Public, la Cour d’appel de Lyon a confirmé cette relaxe, devenue aujourd’hui définitive.

Que s’est-il passé entre ces deux dates ?

Neuf ans. Presque une décennie de procédure.

Pour pas grand-chose puisque, comme bien souvent, l’essentiel avait été fait dans le temps de l’enquête préliminaire et l’instruction n’y avait rien apporté de déterminant.

Enfin si. Un point essentiel. Elle avait permis le contradictoire. C’est-à-dire la possibilité pour la personne mise en cause d’avoir accès aux pièces du dossier, de savoir précisément ce qu’on lui reproche et de pouvoir, en réplique, faire valoir ses arguments de défense.

C’est après avoir reçu sa convocation pour sa comparution devant le juge d’instruction le 29 juillet 2017 (déjà plus de quatre ans après l’accident !) que Théodoros K. avait enfin pu avoir accès à la procédure.

Il se voyait reprocher deux délits qui nécessitaient l’un et l’autre que soit démontrée l’existence d’une « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement », ce que l’on appelle plus simplement la faute délibérée.

En matière d’infractions non-intentionnelles, la faute délibérée est au sommet de la gravité des fautes susceptibles d’engager la responsabilité pénale de son auteur.

C’est plus qu’une simple maladresse. Plus aussi qu’une faute caractérisée.

La faute délibérée, c’est la prise de risque consciente, assumée, décomplexée.

En l’espèce, l’accusation devait démontrer que ce pilote n’avait pas seulement commis des fautes d’imprudence ou d’inattention mais qu’il avait délibérément contourné les obligations de prudence et de sécurité qui s’imposaient à lui et consciemment exposé ses passagers et collègues au risque d’un accident.

A l’audience de la Cour, l’enjeu est considérable.

Car à défaut de démontrer l’existence d’une telle faute, le délit de mise en danger de la vie d’autrui n’est pas caractérisé et l’infraction de blessures involontaires perd le caractère délictuel qui est attaché à cette circonstance aggravante et devient la contravention de 5ème classe prévue et réprimée par les dispositions de l’article R625-2 du code pénal.

Or, en l’espèce, compte tenu des délais trop longs écoulés entre la fin de l’instruction et l’audience du tribunal correctionnel, cette contravention était prescrite.

C’est dire que la notion de faute délibérée était au cœur des débats.


Des fautes oui. Des fautes délibérées non.

L’un des principaux reproches fait à Théodoros K. était, aux termes de l’ordonnance de renvoi, « d’avoir paramétré ou laissé paramétrer des données erronées, notamment de vitesse, en phase d’atterrissage et en n’informant pas le copilote de l’écart de vitesse relevé ».

En d’autres termes, l’avion avait une vitesse excessive au moment de l’atterrissage, ce que l’exploitation des données des enregistreurs de vol avait démontré.

D’évidence, Théodoros K. avait commis une faute d’imprudence.

Il ne l’avait d’ailleurs jamais contestée.

Cette erreur était-elle de nature à caractériser une faute délibérée ?

Nous avions soulevé en première instance et en appel plusieurs arguments.

En premier lieu, l’erreur de programmation de la vitesse était non le fait du pilote mais de son copilote qui était alors aux manettes et qui avait lui-même programmé une vitesse erronée.

L’idée n’était évidemment pas de reporter la responsabilité sur l’autre (le « ce n’est pas moi c’est l’autre » n’est jamais simple à plaider…) mais de convaincre les juges que la seule omission de rectifier l’erreur commise par un autre pouvait difficilement être retenu au titre d’une faute délibérée.

En deuxième lieu, l’enquête avait permis d’établir que la vitesse de l’Airbus A321 piloté par Théodoros K. était sensiblement similaire à celle des deux appareils qui avaient atterri juste avant lui.

Les pilotes de ces appareils l’avaient confirmé. Et les trois contrôleurs aériens de l’aéroport Saint-Exupéry qui avaient eu à intervenir dans la procédure d’atterrissage avaient eux aussi reconnu que la vitesse de l’avion n’avait alors rien d’anormal.

Dès lors, il aurait été incongru de reprocher à Théodoros K. de ne pas avoir réduit la vitesse quand tous ceux qui l’avaient précédé ne l’avaient pas fait et que les professionnels n’y avaient rien trouvé à redire !

Un troisième et dernier argument a emporté la conviction des juges.

L’auto-manette (Auto thrust, en abrégé A/THR) est le système de régulation automatique de la poussée sur les avions de ligne, remplaçant, quand elle est enclenchée, l’action du pilote sur la manette des gaz.

L’accusation reprochait à Théodoros K. une mauvaise gestion de l’A/THR qui avait contribué à créer une poussée inadaptée au moment de l’atterrissage expliquant la vitesse excessive.

Or, nous avons pu établir que cette poussée résultait en réalité d’un dysfonctionnement de ce régulateur de vitesse.

Un dysfonctionnement dénoncé et retenu par le BEA dans son rapport parmi les faits contributifs de l’accident et qui n’était pas connu de la compagnie aérienne au moment de l’accident.

Ce dysfonctionnement se produisait lorsque la vitesse de l’avion était supérieure de plus de 10 Kt (nœuds) à la vitesse théorique (c’était le cas en l’espèce) et provoquait « une augmentation de la poussée au fur et à mesure que l’avion s’approche du sol alors qu’une réduction s’impose ».

Les essais réalisés par le BEA à la suite de l’accident du 29 mars 2013 avaient ainsi démontré qu’avec la version équipant à l’époque l’appareil en cause, l’A/THR augmentait la puissance des réacteurs jusqu’à 68 % et la distance de freinage était rallongée de 488 mètres au maximum !

Or, l’appareil avait fini sa course 314 mètres après la fin de la piste…

Nous avions fait verser le rapport du BEA au dossier de la procédure.

Tout cela a pu être débattu contradictoirement à l’audience de la Cour.

Laquelle a finalement considéré que si une faute avait bien été commise par le pilote, celle-ci ne revêtait pas les caractéristiques de la faute délibérée. La seule infraction susceptible d’être retenue était donc cette contravention de 5ème classe, laquelle était prescrite compte tenu des délais écoulés.

Les mots ont un sens. Les enjeux sont parfois considérables.

Parce qu’elle est délibérée, cette faute doit rester cantonnée aux manquements les plus graves.

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